DSDEN 93 - L’éducation en Seine-Saint-Denis

Le 17 février 2023, les meilleurs parleurs des quatre lycées publics montreuillois étaient réunis sur scène pour la finale d’un concours d’éloquence pas tout à fait comme les autres. Devant le jury composé de M. Chaleix, inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’éducation nationale de la Seine-Saint-Denis, de M. Bessac, maire de Montreuil, ainsi que de plusieurs universitaires et de comédiens, neuf candidates ont exprimé librement et brillamment leur intime conviction sur un sujet commun : "Faut-il réussir sa vie ?"

De la rhétorique pour plus d’égalité citoyenne

Impulsé en 2019 par la ville de Montreuil en collaboration avec Clément Viktorovitch, docteur en sciences politiques spécialisé en rhétorique, le Concours des libres parleurs se veut être plus qu’un concours d’éloquence car, au-delà de l’art du bien parler, il s’agit d’un véritable apprentissage à la citoyenneté. Selon M. Viktorovich, l’objectif est d’enseigner et de transmetttre le pouvoir des mots à une partie des jeunes de la ville pour qu’ils deviennent des citoyens capables de participer au débat public en faisant valoir leur voix et leur contribution.
C’est à la fois un projet citoyen et personnel car ce ne sont pas des orateurs qui sont ainsi formés mais des libres parleurs capables de porter leur voix, leur pensée, de la manière qu’ils choisissent et qui leur correspond et ainsi manifester leur liberté en parlant.

Or tous ne sont pas égaux devant le langage et l’argumentation, et la rhétorique est une compétence qu’il faut pouvoir acquérir. Un monde où tout le monde possède la rhétorique, c’est un monde où tout le monde se bat à armes égales. La seule manière de s’assurer qu’un pouvoir est utilisé équitablement est de s’assurer qu’il est partagé par tous et par toutes. Partager la rhétorique à chacun et chacune, tel est l’objectif de ce concours."
Au fil de la préparation, les participants vont découvrir leur éloquence, ils vont apprendre à raisonner avec qui ils sont et montrer qui ils veulent être.

Apprendre le pouvoir des mots et le choc des paroles

Pendant plusieurs mois, les couloirs des lycées Eugénie Cotton, Jeanne Baret, Jean Jaurès et Condorcet ont résonné sous les voix qui allaient s’aguérissant des lycéens qui avaient décidé de tenter l’aventure langagière. Le projet était ouvert à tous les niveaux de classe et proposait non pas une formation à la seule éloquence mais bien à l’art de la rhétorique.
Ainsi, au cours de 10 séances de 2 heures sur le temps extra scolaire, dans chaque groupe encadré par un enseignant et un coach d’expression orale, les élèves volontaires ont pu apprendre à déployer leur pensée en déconstruisant les discours pour mieux les décrypter et pouvoir ensuite construire leur propre argumentation.
Outre les ateliers hebdomadaires, trois grandes leçons dites "master class" ont été organisées pour faire bénéficier les lycéens de l’expérience d’intervenants rompus aux techniques oratoires.

Les motivations des élèves étaient diverses, certains y voyaient une opportunité de se préparer au grand oral du baccalauréat, d’autres affectionnaient déjà l’exercice de la prise de parole et pour d’autres encore il s’agissaient au contraire de surmonter la difficulté qu’ils avaient à s’exprimer à l’oral. Quelle qu’ait été leur motivation, tous ont joué le jeu et trouvé les clés pour transmettre et faire retentir leur parole haut et clair.

Le thème du concours de cette année n’a été divulgué que lors des derniers ateliers de rhétorique, un thème suffisamment large et inspirant pour que les apprentis orateurs puissent faire montre de tout ce qu’ils avaient appris lors de la préparation au long cours. Car apprendre à s’exprimer de façon libre et fluide ne s’improvise pas, même si de nombreux exercices portaient justement sur l’improvisation. Cela a nécessité une motivation indéniable et de longues heures de travail au préalable, des exercices auxquels il a fallu se confronter pour trouver le passe-partout qui ouvrirait toutes les portes de la parole.

Lors des ateliers, il s’agissait de proposer un autre cadre que celui auquel étaient habitués les élèves afin de libérer leur parole en les amenant progressivement à prendre confiance en eux.
Au-delà de l’entraînement à l’argumentation et à la construction du discours, ils ont appris à travailler tout le contexte du discours : la dimension théâtrale pour s’extérioriser et se positionner, des exercices de diction pour mettre les sons en oreille et mieux les restituer, la respiration pour poser les mots, la gestion des silences et de la gestuelle pour attirer l’attention de son auditoire...

Les élèves ont aussi été invités à devenir sujet, à amener du vécu pour mieux incarner et donc faire vivre leur discours, mais surtout ils ont persévéré, ils ont appris à dépasser leurs difficultés, à se révéler à eux-mêmes et aux autres et à oser revendiquer la parole.
"Lorsque j’ai commencé ces ateliers j’avais du mal à parler devant plusieurs personnes. J’avais surtout du mal à gérer le stress que ça représentait, c’est pour ça qu’au début ces ateliers n’étaient pas évidents. J’avais beaucoup de mal à contrôler tous les signes de stress et de peur mais au fil des exercices on voyait petit à petit des améliorations. [...] C’étaient surtout des moments que j’appréciais énormément et durant lesquels je savais que je pouvais m’améliorer et vaincre cette angoisse et cette timidité. Ces ateliers m’ont permis non seulement d’apprendre à contrôler mon stress durant mes prises de paroles à l’oral mais aussi à prendre confiance en moi. Je me suis rendue compte que j’étais capable de dire ce que j’avais à dire et que surtout j’avais le droit de le faire", Anaïs, finaliste du concours 2023 pour le lycée Condorcet.

Tous ces exercices divers et variés menés de concert ont créé un climat de confiance au sein de chaque groupe, ils ont favorisé une réelle complicité qui a permis de développer une intelligence collective à travers le dialogue et l’écoute des autres pour mieux apprendre et progresser tous ensemble. Les élèves ont pris confiance en eux à travers les yeux des autres et les encadrants sont unanimes sur les bénéfices du projet : ce parcours intime et collectif a permis de renforcer les liens avec le lycée et les apprentissages et en 20 heures ils ont vu les élèves se transformer de façon assez magistrale pour devenir maîtres de leurs mots. "Non seulement leur parole est légitime mais elle nous éclaire. Cette année encore leur parole authentique m’a touchée. Cette année encore, ces Libres Parleurs m’ont donné une vibrante leçon de vie. Merci à eux et bravo !", Mme Crismat, enseignante au lycée Jaurès.

Le verbe et le geste étaient au rendez-vous

Dans chacun des établissements des demi-finales ont été organisées à l’issue desquelles ce sont 9 finalistes féminines qui ont été choisies pour porter haut le verbe des lycéens montreuillois devant un public de 300 personnes.

Le 17 février 2023, la salle était comble pour écouter Léa, Wendy, Elsa, Rania, Lindsay, Léna, Rania, Anaïs et Marianne venues dire qui elles étaient à travers des discours qui leur ressemblaient, des discours sincères, singuliers et véritablement incarnés. Ce n’étaient pas que des mots pour faire joli que le public a pu entendre ce soir là, mais bien de véritables oratrices qui ont exprimé leurs opinions et ont su les faire partager. Les voix étaient jeunes mais toutes étaient déterminées et affirmées. Les discours aux registres variés étaient structurés, riches de vécu et donc d’émotions. Elles étaient toutes lumineuses, convaincues et convaincantes, et surtout impressionnantes d’assurance.

Alors faut-il réussir sa vie ? À partir de la question commune qui était posée ce soir là, chacune des candidates a su faire partager avec brio sa propre vision du sujet et y répondre de façon libre et authentique.
Au terme des discours, les réponses ont été diverses. Pour Léa il s’agissait avant tout de choisir sa vie quand Wendy préférait ne pas précipiter les choses et se donner le temps de vivre. Elsa, quant à elle, décrétait que sa réussite répondrait aux critères qu’elle aurait définis car réussir c’est n’avoir ni regret, ni remord. Rania s’interrogeait d’emblée sur cette question qu’elle trouvait bien étrange car pour elle la réussite n’était pas une option mais une nécessité. Lindsay mettait l’accent sur la recherche de la réussite et concluait en disant que c’est lorsque l’on ne se pose plus la question qu’alors on a réussi. La réussite de Léna rimait surtout avec la transmission d’une passion car pour elle réussir sa vie ce n’était pas réussir dans la vie. Rania ne voulait pas devenir quelqu’un aux yeux des autres mais juste être fière de qui elle est aujourd’hui et qui elle sera demain. Anaïs comptait bien ne pas construire sa réussite sur des bases pré-définies mais selon ses propres règles. Et Marianne jouait quelque peu la provocation en affirmant d’entrée avoir, à 16 ans, bonne élève et sachant ce qu’elle voulait faire, réussi sa vie mais pour redéfinir ensuite ce qu’étaient les bases de la réussite : être là pour soi mais aussi être là pour les autres.

Pendant les délibérations du jury, l’édition de cette année innovait en proposant un nouvel exercice, celui de la minute rhétorique. Pendant ce laps de temps donné, tous les participants au projet étaient invités à s’exprimer sur un sujet semi-libre : "Faut-il en finir avec...". Quinze lycéennes et lycéens se sont alors succédés pour expliquer s’il fallait en finir avec : la grossophobie, le silence, les cheveux afro, l’horticulture, les téléphones portables, les jeux vidéos, le sommeil, l’humour, l’appli tik tok, le plastique, les paris sportifs chez le mâle alpha, la perfection, la peur d’échouer, les claquettes avec les chaussettes et la réussite.

Le jury a été unanime pour saluer toutes ses prestations de grande qualité et d’un niveau exceptionnel. Ils se sont dits fiers et impressionnés.
"Ce que vous nous avez présenté est particulièrement remarquable. Vous avez beaucoup travaillé, vous avez osé, vous avez réussi à nous émouvoir, à nous faire douter et à nous faire réfléchir", Antoine Chaleix.
"Vous avez été tellement libres, tellement pleins de vie, de finesse, d’argumentation, de choses tellement profondes sur la manière de conduire sa vie", Patrice Bessac.
"Ce soir, nous avons entendu des discours de personnes qui croient à ce qu’elles disent et disent qui elles sont. On a senti une présence et des discours habités", Marianne Doury, professeur en Sciences du langage.
“C’est une magnifique promo avec des candidates qui ont parlé avec leur cœur, librement, à partir de leur propre vision de ce que doit être une parole forte. Et on est jamais aussi convaincant que lorsqu’on est authentique. Ce soir, on a vu neuf personnes authentiques", Clément Viktorovich.

Ce soir là, tous ces jeunes citoyens ont su montrer que lorsqu’on leur donnait les moyens de prendre la parole, ils s’en saisissaient avec intelligence car ils avaient tous des choses à dire et ils les disaient brillamment.

► Pour écouter les prestations des neuf finalistes
Lien vers le site de la ville de Montreuil

Rania, élève de terminale au lycée Jean Jaurès de Montreuil et lauréate du concours 2023

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